samedi 28 juin 2008

30 mai – 8 juin : Horta (Açores), reine des escales

Arrivée dans l’île de Faial, le 30 mai,18 heures. Port de Horta, archipel des Açores. Portugal.
Etrange sensation. On a roulé à toute allure pendant des jours, sans voir l’ombre d’un bateau. Et tout à coup, Yallingup freine en plein vol et se fige, emmailloté dans des tas de cordages au milieu d’une nuée de voiliers qui ont soudain perdu leurs ailes. Ce même jour, 25 bateaux, dont le nôtre, sont arrivés à Horta, petit port paumé dans l’Atlantique et sas de décompression de tous ceux qui viennent de dévorer un Océan.

Horta 1 : à l’Est que du nouveau !
La marina est minuscule, sans rapport avec le mouvement incessant des bateaux qui entrent et sortent. Mais il ne viendrait l’idée à personne ici de renvoyer quelqu’un faute de place. Alors, on se serre. A trois, à quatre sur les mêmes bittes d’amarrage. Partie de jambes en l’air pour rejoindre son bateau : pont allemand, anglais, espagnol, américain…Et que je t’enjambe le bastingage de l’un et que je me raccroche à l’étai du suivant. Un peu de sport, et de voisinage ne nuisent pas après tant et tant de jours de navigation en huis-clos.
Et d’ailleurs, quelle joie de retrouver le monde des terriens, et que d’histoires à raconter autour d’un verre qui se tient enfin droit sur la table ! Il y a ceux qui ont déchiré leurs voiles ; ceux qui ont essuyé une déferlante noyant l’intérieur du carré dans la seconde ; ceux qui ont traversé un champs de baleines priant le Ciel pour que la coque ne sépare pas une mère de son petit…A Horta, toutes les peurs se conjuguent au passé. Par la grâce de la terre ferme, toutes les avaries deviennent d’inoubliables aventures -et… de lointaines dépenses. Et puis, il y a ces discussions puissantes qui enfument le Peter café sport depuis des générations, faisant de ce bar mythique la caisse de résonance de tous les laboureurs de l’Atlantique :

- « Moi, j’ai tracé Est toute. »
* « Moi, j’ai tracé Nord, et puis j’ai fait de l’Est. »
* « Ah, ben moi, j’ai fait du Sud, et puis après j’ai fait du Nord. Mais j’aurais dû faire plus Est au départ. »
* « Moi, j’ai préféré faire du Nord, mais, si j’avais su, je serais d’abord descendu au Sud pour tirer Est à la fin. »

Etc, etc, jusqu’à la fin de la nuit. Jusqu’à plus soif. Les skippers ont beau multiplier les bières, ils ont toujours ce fichu compas calé dans la tête qui ne veut pas s’éteindre. Contrairement à la traversée aller qui se fait, pour ainsi dire toute seule, grâce au souffle régulier des alizés, la traversée retour est une négociation permanente, un haut-lieu de diplomatie et de stratégie : il faut sans cesse louvoyer pour s’éviter les nombreuses dépressions qui remontent l’Atlantique (l’été est encore loin !) et composer avec l’anticyclone des Açores, ce gros patapouf bien peinard coté ciel bleu, mais complètement asthmatique coté vent.

Horta 2 : que du bonheur
Très peu d’équipages comme nous arrivent des Bermudes. La plupart viennent de Saint-Martin, l’île la plus nord des Petites Antilles. Au début, nous sommes un peu déconcertés car, contrairement à ceux qui sont partis de Saint-Martin, nous n’avons vu que très peu de Français ces derniers mois. Et puis, nous débarquons d’un monde lointain, chargés d’images très fortes de la Rép Dom, de Cuba, des Bahamas… Les autres équipages se montrent souvent critiques à l’égard des Petites Antilles, devenues extrêmement fréquentées, et en particulier de Saint-Martin. Notre enthousiasme dénote un peu. Enfin, il y a la traversée à fond les voiles que nous venons d’effectuer. La plupart de ceux qui viennent de Saint-Martin arrivent le moteur encore brûlant à Faial. Pour eux, la transat s’est souvent soldée par des heures et des jours entiers de teuf-teuf dans les oreilles.
Ce petit décalage mis à part nous adorons l’ambiance de ce port, si petit et pourtant si grand dans le cœur des voileux. Nous faisons connaissance avec des gens adorables et nous avons la joie de retrouver, Yann, Sophie et Cyril, équipage modèle et très attachant du Rose de Savanah, partis avec nous des Bermudes. Il y a une ambiance vraiment tranquille ici : rien à voir avec Gibraltar où l’on pouvait presque palper la tension liée au grand départ vers l’Ouest. Arrivés aux Açores, capitaines et équipiers ont fait leurs preuves. Et ont considérablement vidé la caisse de bord. Relâche et plaisirs simples, donc.
Et puis, il y a ces coups de vent, ces frayeurs plus ou moins grandes qu’on s’est tous fait, ces paquets de mer qu’on s’est pris dans la gueule depuis 1 an… Même les plus fiers font profil bas. La mer nous a tous rendus plus forts, mais surtout plus humbles. Il n’y a guère que les enfants qui fanfaronnent encore un peu. Mais leur fierté est belle. Corentin se montre ainsi ravi d’avoir affronté si courageusement le « cyclone des Açores » !

P.S : Merci à toi Scott, à qui nous devons l’un de nos plus gros fou-rire. Ce jour-là, tu venais d’accueillir 2 équipiers pour ton retour sur les States. Une petite bière pour fêter ça, puis une deuxième, une troisième, puis le pack. Une virée chez Peter pour passer des enfantillages au choses sérieuses. Et voilà minuit qui sonne. Le voilier de Scott est à couple avec le nôtre. De retour de sa mission spéciale, l’équipage américain progresse péniblement le long de la jetée. L’un des équipiers se retrouve par miracle face à Yallingup. Fred, à ce moment-là, est en agréable compagnie dans le cockpit avec notre jolie voisine, Morgane. Quand à moi, je suis à l’avant en train de convaincre Pablo de profiter du calme de cette nuit pour enfin s’endormir. Retour sur la jetée : l’Amerlok est bloqué devant Yallingup. Il oscille. En avant, en arrière… Et tout à coup, un grand BOUM dans le calme de la nuit. Le Marine, ses 100 kilos et ses 10 litres de bières s’écrase sur la plage avant 2 mètres plus bas (c’est marée basse..). Stupeur : il aurait pu se faire très, très, très mal (il y a tout ce qu’il faut pour ça sur un bateau). Mais non : Scott et Fred parviennent à tirer le mort vivant (qui n’a pas même pousser un cri ni laisser une goutte de sang !) jusqu’au voilier voisin.
Quand Scott revient, à genoux, pour s’excuser, Pablo est tout à fait réveillé tandis que Fred, Morgane et moi essayons d’étouffer nos fou-rires. Seul Yallingup reste impassible, sans même une petite bosse. C’est peu dire s’il est costaud.

Horta 3 : une galerie à ciel ouvert
Horta a deux points cardinaux : le Peter Cafe sport à l’Est, et la jetée à l’Ouest. Après s’être refait 100 fois sa traversée sous les dizaines de fanions, de drapeaux, de cartes marines, d’ex-voto, de Sainte-Vierges et de dents de baleines du premier, les équipages mettent le cap sur le second.
La tradition veut, en effet, que chaque bateau débarquant à Horta, laisse une trace de son passage. Les murs, les trottoirs et jusqu’aux pavés de la jetée, et jusqu’aux poubelles même sont ainsi entièrement recouverts de peintures, évoquant les voyages des uns et des autres. C’est une galerie à ciel ouvert magnifique, peut-être la plus belle du monde. Nous passons des heures à flâner dans ce musée aux œuvres éphémères où des générations de marins se sont faits « peintres » l’espace d’une escale. Forte émotion à la vue du dessin (franchement l’un des plus beaux –en toute impartialité, évidemment !) laissé il y a trois ans, par la famille Beauvois, propriétaire de Yallingup.
C’est bientôt à nous de nous y coller. Le petit marchand de peinture à côté du Peter bar a fait fortune, et nous la confortons. Couleurs primaires, enfantines. Nous décidons de reproduire le bateau que Corentin dessine à longueur de journée : gréement bizarre et quille démesurée. Deux jours durant, nous voilà donc à genoux devant notre toile de béton. Non loin, d’autres équipages s’échinent eux aussi à faire un truc pas trop moche. Des pots de peinture traînent un peu partout, les pinceaux s’échangent, les flacons de white-spirit baladent d’un bout à l’autre de la jetée. On s’encourage, on se sourit… Mais très vite, il devient évident que ces dessins sont bien plus qu’un tampon certifiant le passage à Horta. Se tenir à genoux par terre, des heures durant, le pinceau dans les mains, le dos tourné à son bateau, c’est déjà se souvenir. Et dire adieu à tout ce qu’on a vu, senti, éprouvé depuis le début du voyage. Horta et sa jetée poussent en cela un chant unique, aussi joyeux que nostalgique

Le monte Pico (île de Pico) veille sur Faial

Le petit port de Horta plein à craquer

Une galerie à ciel ouvert

Surprise ! Yallingup millesime 2005

... et nos chers amis de Drisar

Au hasard de la balade

Ca nous rappelle quelque chose...

Bataille navale sur la jetée

A notre tour de jouer. Phase 1

Phase 2

Phase 3

Phase 4

Phase 5

Et voilà le travail !

Souvenirs, souvenirs

Sophie, Cyril, et Yan, eux, savourent leur oeuvre

Aimbert, Kristl et Ben cherchent l'inspiration

Nous, on a bien mérité une petite virée chez Peter

Ambiance...

Parfois, de la terrasse de chez Peter, on voit des baleines voler

Balade autour de la caldera de Faial

Un peu de vert ne nuit pas

Un phare un peu inutile depuis l'éruption de 1958

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Belle aventure. J'ai pu admirer vos œuvres sur le port d'Horta Mardi dernier.

Bonne continuation !