jeudi 19 juin 2008

14 avril 2008 : Cuba à nulle autre pareille


Arrivée

Longer les côtes de Cuba, quelle émotion ! On hisse le drapeau jaune de mise en quarantaine et le drapeau à l’étoile blanche (la pointe bien vers le haut sinon c’est une déclaration de guerre), les enfants entament un gros goûter à base de pancakes et de citronnade, on met à fond le CD de la famille Miranda, un de nos disques fêtiches de cubano… Et si Ry Cooder était là, au bout du ponton ? Et qu’il nous amenait direct dans son side-car au Buena Vista Social Club ? Mais pour l’heure, point de side-car. A défaut, un hélico U.S. qui survole le bateau à deux reprises, nous rappelant que la zone est un haut lieu stratégique, pour ne pas dire de guerre entre Cuba et les Etats-Unis. Du haut de leur engin, les Américains nous ont sans doute tiré le portrait, qui sait ? Une chose est sûre : c’est carrément désagréable.
Puerto Vita où nous accostons est assez déroutant. La marina se niche dans une grande et calme mangrove. Il n’y a qu’un voilier comme le nôtre, des Anglais. Les autres bateaux sont des catamarans de balade à la journée ou des voiliers en résidence. Bon, on n’est loin de l’ambiance festive et délirante qu’on attendait. En lieu et place, une brochette d’uniformes cubains nous accueille sur le ponton… pour nous dire qu’ils reviendront demain. D’ici là, nous avons ordre de ne pas quitter le bateau.
Toute la soirée, nous nous battons avec d’affreux moucherons qui piquent (les « héné héné »), puis, la nuit, les moustiques prennent la relève. Le lendemain, dès 8 heures, le défilé commence : le médecin (qui lève la quarantaine devant nos mines épanouies de baroudeurs à l’année), le responsable des services sanitaires (qui note minutieusement la provenance de nos paquets de farine, de nos ananas, de nos mangues, de nos tranches de bécon), le douanier, le responsable portuaire… On a même droit au chien chercheur de drogue, une sorte de Rantanplan plus alléché par les miettes de pancakes que par les sacs de coke enfouis dans les soutes. Tous ces messieurs sont très courtois. Ils se déchaussent avant de monter à bord, puis s’en repartent, le chien sous le bras, après nous avoir quand même allégé d’une centaine d’euros.

Cuba...

...nous voilá !

Notre parcours antillais

Cuba au garde-à-vous
Nous aurions pu couler des jours tranquilles à Guardalavaca. Dans cettte zone hautement touristique, à une quinzaine de kilomètres de la marina, il y a tout le confort dédié aux milliers de Canadiens en vacances et autres riches plagistes de la planète : sable blond, hôtels luxueux, services Internet, calèches façon Disneyland et même annexes volantes pour le fun. L’option choisie est tout autre : nous louons une voiture pour 4 jours au moins de voyage dans la partie orientale de l’île : Holguin, Banes, Baracoa, Bayamo… Et là, il faut l’avouer, le choc est rude : Cuba n’est pas le pays rigolard et fêtard qu’on pensait. Le joyeux bordel de la République dominicaine est loin derrière : les Cubains sont extrêmement disciplinés et respectueux des règles. En posant ses pieds sur un banc public, Pablo se fait reprendre gentillement mais fermement. Pareil pour Tiphaine lorsqu’elle sort sa tête hors de la fenêtre de la voiture.

Annexe volante à Guadalavaca

Le socialisme ou la mort

Ca, c'est du tag !

Jeune révolutionnaire cherche héros

Lutter et travailler, notre contrat avec Fidel

La bataille des idées même à l'heure du goûter

La crainte des représailles
Nous n’avons pas la prétention d’avoir tout compris de Cuba et des Cubains. Loin, loin, loin de là ! Mais cette virée sur les routes nous permet de passer le pas de nombreuses maisons et de parler avec beaucoup d’habitants, notamment les dizaines d’auto-stoppeurs qui prennent place dans notre voiture. Au fur et à mesure de notre immersion dans l’île, nous percevons les signes, discrets mais bien là, d’un état policier. Ce que nous pensions être de la discipline n’est souvent qu’une peur des représailles. Car la police veille, et plus encore les voisins dans une société où le seul parti en présence, le PCC, a fait de chaque citoyen le vigile de son compatriote. Prêt à cafter si besoin.
De retour d’une balade dans le beau parc d’Humbold, nous demandons ainsi à nos jeunes guides s’il est possible de dormir sur place, dans le dortoir. Ils sont visiblement embêtés, d’autant qu’on avait bien sympathisé, mais ils refusent de prendre ce risque car il est formellement interdit d’héberger des étrangers à moins de les déclarer en bonne et dû forme. Finalement, nous atterrissons dans un village à proximité. Une dame y dispose d’une chambre mais… n’a pas encore reçu l’autorisation de la louer. Il est tard, il pleut, les enfants sont fatigués. La dame, c’est clair, veut nous rendre service. Elle hésite de longues minutes, demande conseil à une voisine, tourne en rond, dans un sens, puis dans l’autre. En plus de nous faire plaisir, elle pourrait gagner, en une nuit, l’équivalent d’un mois de salaire. Eh bien non. Elle aussi refuse. Pourtant, il n’y a pas l’ombre d’un policier dans ce petit village. On comprend qu’elle craint avant tout certains de ses voisins. Et s’ils venaient à la dénoncer ?…
Sur le chemin de retour à Baracoa, nous prenons en stop un bonhomme rondouillard et parlant fort. Il est cadre au Parti. On a pêché un gros poisson ! Tous les poncifs sont au rendez-vous : la situation s’améliore de jour en jour à Cuba et les seuls problèmes rencontrés sont le fait des Etats-Unis et de leur embargo (tout cargo s’arrêtant à Cuba est interdit de séjour aux USA). Malgré l’heure avancée, notre Raoul s’en va tenir la permanence nocturne du CDR, le Comite de defensa de la Revolucion. Devant notre étonnement, il nous explique à demi-mot que, même en pleine nuit, des camarades peuvent avoir des choses à révéler. La boucle est bouclée.

Parc national de Humboldt, pointe Est de Cuba

Promenade en barque dans la mangrove...

... avec notre guide Pedro

Petit oiseau tipical dont on a oublié le nom

Une vie de manque
Autre chose choquante à Cuba : le manque d’à peu près tout. Pas de papier WC ni de savon dans les restaurants. Une carte bien souvent réduite à un seul plat (des spaghettis ou du porc servi avec des rondelles de bananes plantain frites et du congri –mélange de riz et de haricots noirs). Pas de serviette en papier, pas suffisamment de verres ou de couteaux, et des portions mini mini dans les assiettes. En République Dominicaine, nous ne prenions que 4 plats pour 5 tellement il y avait à manger. A Cuba, nous commandons 6, voire 7 plats… quand il y a suffisamment de réserve en cuisine et que… nos estomacs en redemandent (« Soyons francs, on ne vient pas à Cuba pour sa gastronomie », n’est-ce pas Pablo !)
Nous nous n’oublierons pas Maria, l’une de nos logeuses : ayant vu sur le passeport que Corentin fêtait ses 6 ans le jour de notre passage chez elle, Maria a voulu préparer un gâteau. Malheureusement ce jour-là, il n’y avait ni œufs, ni farine au magasin… Sourire triste de la dame affligée qui offre finalement à Corentin un petit bloc de beurre de cacao « pour lui garder le teint frais. »
Mais c’est dans le registre des transports que la situation est la plus difficile. A bord de notre voiture de location, nous sommes comme les princes arabes barbotant dans des piscines d’eau douce en plein désert. Il n’y a, en effet, pratiquement aucune voiture à Cuba. Nous avons rencontré des professeurs d’université, des guides hautement diplômés, un médecin, une chirurgienne… Aucun n’était motorisé faute de revenus suffisants (les salaires n’excède pas 30 euros par mois et le litre d’essence coûte 0,95$ soit 0,68€ ). Alors les gens se serrent sur des charrettes à cheval ou s’entassent dans des camions à bestiaux d’où l’on ne voit que leurs bras dépasser (image très dérangeante). Par milliers, ils attendent le long des routes pour se rendre au travail le matin ou en revenir le soir. Les chefs passent leur temps à composer avec ces employés qui arrivent quand ils peuvent au boulot. De toute façons, eux-mêmes n’ont pas de voiture…
Et que dire de l’autoroute qui traverse la partie Est de Cuba ? Moins de 30 autos en une heure : un grand ruban d’asphalte rendu aux chevaux, aux chars à bœufs, aux vélos, aux marchands de mangues et d’ananas… Une voie rapide aussi silencieuse et poétique, on n’a jamais vu ça : une périmètre de choix pour les promoteurs. On imagine déjà la petite annonce : « A saisir. Maison calme en bordure d’autopista… »

Contrairement aux apparences, ...

... le bici-taxi, c'est pas pour les touristes !

Taxi conventionné

Taxi non conventionné

La voiture à cheval, une autre option

Le side-car, pas mal non plus

On n'a pas essayé les camiones..

... pris d'assaut

On n'a pas osé non plus...

... les chars à boeufs

Holguin, 4e ville de Cuba

Un autre espace-temps

Un autre monde

Cuba hors de prix
Enfin, et pour en finir avec les désagréments, nous découvrons qu’il est très difficile de voyager dans Cuba sans se faire plumer. Privé de ressources depuis l’embargo américain et, surtout, la chute de l’URSS, le pays mise tout sur le tourisme, vache à lait d’une économie aux abois. La logique est poussée si loin qu’il y a deux monnaies en circulation : le peso cubano (1/25e de dollar) pour les Cubains et le peso convertible (qui équivaut grosso modo à 1 dollar US) utilisé dans tous les domaines qui touche au tourisme. Désormais à Cuba, deux sociétés cohabitent avec, d’un côté les restos, hotels et boutiques en peso cubano (« moneda nacional ») et, de l’autre, les restos, hôtels et boutiques en peso convertible. Certains restaurants ont carrément deux cartes. Les musées et monuments historiques pratiquent deux tarifs. Cette forme de discrimination n’est pas seulement désagréable pour tous ceux qui, comme nous, voyagent justement pour vivre au plus près des habitants et de leurs habitudes. Elle est aussi ruineuse : question logement, par exemple, nous avons toujours dû payer le prix fort (et à cinq, ça fait mal !) puisque les campismo populaires (payables en pesos) sont désormais interdits aux étrangers. Heureusement, les restos en peso nous restent ouverts : nous avons ainsi mangé dans des cantines d’Etat assez démentes question décor, service et saveurs, mais… pour 35 pesos (1,5 euros tout compris !!!)
Question quand même : avec le peso convertible, tous les cubains qui travaillent au contact des touristes gagnent désormais 25 fois plus que les autres. Le ver est dans le fruit. Finie l’égalité si chère aux révolutionnaires ! Quant à nous, nous décidons de rester 2 semaines au lieu de 4 à Cuba car la vie y est vraiment trop chère.

Etat providence : démonstration
Pour toutes les raisons invoquées, nous avons beaucoup de mal à dire : « Cuba, c’est super ! ». Et pourtant, ce pays nous a ravi, vraiment. D’abord parce qu’il révèle un modèle d’organisation sociale unique et à bien des égards efficace : nous n’avons jamais croisé de mendiants à Cuba. Grâce aux cantines populaires, tout le monde mange. C’est Fidel qui régale. Les petites douceurs ne sont pas oubliées : à Holguin, nous avons « dégusté » une coupe de glace pour 1 peso (2,7 centimes d’euros) dans une sorte de glacier à la mode soviétique. Parfum unique et difficilement identifiable, salle grise et service à la chaîne. Mais glace à prix d’ami. Un bel instrument du pouvoir pour faire passer bien des pilules amères.
Bouffe assurée, donc, (nous avons même assisté à une distribution de pain à domicile dans les rues de Santiago). Santé gratuite (un médicament désinfectant nous est revenu à 35 centavos, soit un peu moins de… 1 centime d’euro). Rues et routes défoncées mais d’une propreté étonnante. Et, bien sûr, enseignement gratuit et obligatoire. Nous passons une matinée dans une école d’Holguin. Les enfants sont tous en uniforme impeccable. Lever de drapeau, suivi d’une demi-heure de chants patriotiques et révolutionnaires à la gloire du Che. Poings levés, ils jurent qu’ils feront tout pour lui ressembler. Les enfants défilent par petits groupes sur l’estrade pour chanter. Aucun temps mort, aucune bousculade. C’est impressionnant de rigueur et de fluidité. Dans la classe de musique où nous atterrissons, il n’y a pas moins de 6 adultes. Encadrement serré de près. Tiphaine est invité à chanter. Très émue, elle entonne le chant du bonhomme de neige. Tous les enfants écoutent et applaudissent avec le plus grand respect. A midi, ils mangeront à la cantine. Combien de pays mal en point offrent-ils ce luxe à leurs élèves ? Un peuple qui mange à sa faim, qui est soigné et instruit, ça se remarque. A aucun moment, durant nos dix jours de cavale à Cuba, nous n’avons vu un geste violent, aussi basique soit-il. Et pourtant, ils en auraient des occasions de pêter un plomb de temps en temps, les Cubains ! Même s’ils passent leur vie à faire la queue (pour manger, pour rentrer dans une boutique d’Etat, pour monter dans un camion…), c’est toujours dans le calme et la discipline (encore et encore !). Il ne vient l’idée à personne de passer en force ou de doubler. Le dernier arrivé demande toujours « quien es el ultimo ? » (« qui est le dernier ? »). Il se range alors dans la file, ou bien s’asseoit un peu plus loin et lève une main discrète lorsque le suivant pose à son tour la question.
Pour notre part, nous n’avons subi aucun problème de vol, de mendicité ou d’harcèlement. Délinquance proche du zéro, donc. Le rêve de Sarko, non ?!

Quéllllllindo !
Mais surtout, surtout, surtout, ce qui nous a tant plu à Cuba, ce sont les gens. Dieu sait si on en a rencontré des gens gentils depuis le début du voyage ! Mais les Cubains ne sont pas loin de mériter la palme. Nous croulons sous les bisous : il suffit de revenir 2 fois au même marché pour se voir embrasser comme du bon pain par les vendeurs. Les enfants, surtout, baignent du matin au soir dans un océan d’affection. Chaque jour apporte sa ration de « qué lindo » (non pardon quélllllllindoo !) et de « mi amorrrrrr ». Corentin a juste un problème : 50 fois par jour, on lui demande son prénom, mais personne n’arrive à le prononcer. Alors son frère et sa sœur trouvent la parade et le présentent sous le nom de Fernando ! Euh, tout le monde rit, sauf l’intéressé !
La gentillesse des Cubains n’est pas exhubérante. Elle est douce, mais toujours active. Il faut d’ailleurs bien réfléchir avant de demander un renseignement dans la rue : si un Cubain ne sait quoi répondre, il fait appel à son voisin qui, à son tour, traverse la rue pour demander à son cousin lequel décroche son téléphone pour appeler son oncle… Cela prend le temps qu’il faut, mais jamais on ne laisse tomber un visiteur paumé.
Marché de Holguin

Notre gentil boucher, son étal, ses mouches

Theresa et Campagnole, dimanche dansant à Banes

Un pain de beurre de cacao pour Corentin de la part de Maria, notre logeuse à Holguin

Rencontre espiègle à Playa Blanca (Baracoa)

Avec les ouvriers de la sucrerie à Bayamo...

... et avec Christina qui sort de l'école


Santiago mi amor
Six jours durant, donc, nous sillonnons l’est cubain. Le périple est crevant car il faut sans cesse manœuvrer pour trouver des restau d’Etat et des chambres pas trop chères. Au gré de nos balades, nous nous imprégnons de la poésie du pays avec ses maisons décâties, ses Chevrolets flamboyantes (vestiges de la présence américaine dans les années 50) et ses rues spectaculaires : une véritable encyclopédie des moyens de transport du Moyen Age à nos jours !
Mais, avouons-le, on s’ennuie un peu. Ça manque de peps et surtout de musique. On est quand même venu pour ça, non ? Alors, on tente notre va-tout : on décide de pousser encore plus loin et d’aller à Santiago de Cuba, grande ville à la sale réputation que l’on s’était bien juré d’éviter. Et là, c’est le choc. Une ambiance vivante et décontractée, des rues pittoresques à souhait… Une sorte de Marseille puissance 1 000, la crasse, le racisme et les bagnoles en moins. Et puis, des musiciens partout, assis sur le bord des trottoirs, sur les bancs publics, dans les librairies, dans les centres culturels, à la terrasse des restaurants… Enfin, le Cuba dont nous rêvions ! Nous sommes bluffés. Les enfants, épuisés par ces 1000 km de road movie, retrouvent une seconde flamme. Pour leur anniversaire, nous leur offrons un instrument à chacun. Un soir, ils s’assient sur un banc et bricolent un « Guantanamo » à grand renfort de bongo, de congo, de güiro et de maracas. La greffe a pris !
Bien sûr, nous savons maintenant que Cuba ne se résume pas à Santiago, pas plus que la France ne se résume à Paris, et encore moins au Quartier latin. Mais nous sommes comblés par cette dernière étape. Et cela d’autant plus que nous avons été merveilleusement hébergés par la famille Segares Vives dans une belle maison coloniale du quartier Vista Alegre, souvenir de ce que fut Cuba au temps lointain de sa richesse. Nous avons promis de t’écrire, Marcia, dès notre arrivée en France. Car si tu penses que nous sommes des héros, tu as quand même un petit peur pour nous. Nous te rassurerons, c’est promis. Et, au fait, le petit dernier, c’est pas Fernando. C’est Corentin !
Rencontre coup de coeur

Même le papa en redemande

Quelques rues plus loin...

Ca donne tellement envie !

Arrêt sur image 1

Arrêt sur image 2

A la Casa de la Trova, dimanche matin

Inoubliable libreria La Escalera

Partie de dominos sur Padre Pico

Post-révolutionnaires...

... tout sourire

On craque pour les mani, mani, des cornets de cacahouètes trop bonnes !

Casa de Diego Velazquez

Inoubliable famille Segares Vives

Inoubliable Santiago de Cuba

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